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Identités et laïcité en France et au Québec : étude de l’École internationale de Manosque
La
mondialisation, entraînant par le mouvement de populations hétérogènes une
confrontation de valeurs, demande une
révision continue des équilibres. Durant les dernières années, ses effets se
sont accrus dans les démocraties libérales obligeant les populations locales et
immigrantes, ainsi que les institutions à
composer avec la pluralité culturelle et religieuse.
Tout individu est porteur d’une culture
et d’une religion propres à son identité. Les valeurs fondatrices de cette identité sont multiples (langue,
nationalité, religion, genre, etc…), et leur prise en compte est importante, au
risque de se trouver confronté avec l’identité nationale du pays.
Certaines écoles publiques disposent d’une telle diversité de cultures et
de religions qu’elles centralisent au sein de leur établissement des dynamiques
d’acculturation et d’inculturation (Barthoux, 2008).
Dans le cadre de notre recherche de terrain, nous nous intéressons à une
école internationale publique créée à Manosque, en France, en 2009, à la
demande du gouvernement français, suite au lancement du programme de recherche
nucléaire mondial ITER. Celle-ci accueille 37 nationalités et propose des cours
en 6 sections linguistiques (anglais, allemand, espagnol,
italien, chinois et japonais).
La direction de l’établissement souligne les aspects culturels et
linguistiques de chaque élève, tout en essayant de respecter la laïcité
scolaire (Baubérot et Estivalèzes, 2005). Dans un tel cadre, la direction de
l’École Internationale de Manosque doit prendre en compte à la fois les normes
imposées par l’Éducation Nationale et les demandes des nouveaux arrivants,
fortement impliqués dans le processus d’éducation de l’établissement.
Des confusions apparaissent. Les incompréhensions des enseignants sur ce
qui est autorisé ou non dans un contexte laïc, nous révèlent toute la
difficulté du vivre-ensemble.
Cette étude réalisée lors des débats sur la laïcité et l’identité nationale
en France fait surgir les réactions et les discussions entre
professeurs et élèves nouvellement arrivés en France vis-à-vis de l’identité
nationale et de la citoyenneté.
L’école
internationale de Manosque : une alternative ?
Ma recherche de
doctorat porte sur une école internationale publique prônant la diversité et sa
mise en avant, tout en respectant la laïcité. L’École internationale de
Manosque accueille chaque année de nombreux élèves venant de l’étranger, dont
les parents viennent travailler sur un projet de recherche nucléaire. Ainsi, 37
nationalités, dont des locaux, se côtoient dans l’école. Pour mettre en avant
sa diversité l’école organise des fêtes culturelles. Les fêtes religieuses,
école publique laïque oblige, n’y sont pas admises, tout du moins, si tout le
monde est en mesure de les reconnaitre. Ainsi, seront fêtés Noël et Pâques sans
aucun symbole religieux, ce qui est le cas pour toutes les écoles publiques
françaises, tandis que quelques fêtes religieuses, éloignées du bagage culturel
français, furent célébrées au sein même de l’école (la fête en l’honneur de
Shakti par exemple), sous prétexte que le public qui assiste à cette
célébration n’était pas en mesure d’interpréter les symboles religieux. Il n’y
aurait pas alors de prosélytisme. Cela pose beaucoup de questions aux
enseignants dont la mise en avant de leur religion est interdite. Je pense
notamment à une enseignante italienne qui souhaite porter son crucifix car il
lui rappelle à la fois sa grand-mère et son pays. Dans un tel cas, ce n’Est pas
un objet religieux, mais symbolique, d’un point de vue personnel. Cela montre
d’ores et déjà toute la difficulté du respect stricte de la laïcité dans le cas
de religions et de traditions éloignées des références culturelles et
religieuses prégnantes en France vis-à-vis de religions ancrées dans le pays.
L’identité de cette
école, appelée EIPACA (Pour École
Internationale Provence-Alpes-Côte-D’azur), est la
multiculturalité sous couvert de la laïcité. De plus en plus, les enseignants
engagés sont issus de l’éducation nationale où ils représentent l’État, la
République. Si les cours donnés se font par langue de section selon la langue
d’appartenance des élèves (anglais, allemand,
espagnol, italien, chinois et japonais), ils se font également
en français. La particularité de cette école est de permettre aux élèves
d’intégrer le système scolaire français, tout en gardant leur langue d’origine.
Cela la distingue de tous les établissements publics français qui ne tiennent
pas compte de la langue d’appartenance de leurs élèves.
L’école EIPACA offre
ainsi une nouvelle forme d’enseignement, de socialisation, et surtout
d’intégration à la société française. Si cette intégration n’est pas la volonté
de tous les élèves, on constate tout de même que de plus en plus d’élèves font
le choix de rester en France. Finalement, ce n’est pas une identité nationale
prônée par la République, et représentée par la laïcité, qui permet d’intégrer
ces futurs adultes, mais le simple respect de leur culture et de leur langue
d’appartenance.
Cela ne se fait pas
sans difficultés et incompréhensions du système français mais une étude faite
sur 4 ans montre qu’un équilibre nait de cette diversité, tant culturelle que
sociale ou professionnelle. L’école
engage des titulaires formés par l’éducation nationale et des contractuels
Français ou étrangers. Une diversité professionnelle est ainsi présente par les
différentes formes de contrats proposée aux enseignants.
Et si l’acculturation républicaine laïque ne fonctionne pas totalement auprès
de la population de cette école, nous observons l’émergence d’une autre forme
d’intégration qui tente de respecter le système français. Les participations
citoyennes d’enseignants ou de parents d’élèves nouvellement arrivés sont rares
mais une relecture de la laïcité française est effectuée par tous les acteurs
de cette école afin d’intégrer au mieux la diversité qui se côtoie en ses murs.
Notre étude de doctorat
met alors en avant toutes les spécificités de cette école qui se veut novatrice
en matière d’intégration. Et si le public de l’école est différent de celui des
autres établissements français, nous montrons dans notre recherche en quoi les
idées développées par l’école EIPACA peuvent tout de même servir à l’ensemble
des établissements scolaires publics français, et québécois.
Le
revers de la médaille
Cependant, si l’École
EIPACA permet le rapprochement des cultures et la valorisation de celles-ci au
sein de son établissement, cette école est publique, donc laïque. Au fil du
temps, l’école évolue d’une volonté multiculturelle très développée à une
diminution des activités axées sur la diversité. Plusieurs facteurs influencent
cela : le nombre d’élèves croissants, ce qui rend difficile l’organisation
de telles fêtes, ainsi que des problèmes d’organisation des calendriers, mais
surtout l’influence croissante de l’éducation nationale, représentante de la
laïcité au sein des écoles.
Un des intervenants,
externe à l’école, à l’origine d’un mouvement prônant la diversité à Manosque,
nous dit « Au début l’éducation nationale laissait faire. Donc le
directeur de l’école a pu constituer son corps professoral de façon
intéressante par rapport au projet. Puis l'éducation nationale décriait que puisque
c'est une école éducation nationale il faut que ce soit des professeurs de l’éducation
nationale. Cet été (2012) il y a un tas de gens qui ont été virés. Et des gens
arrivaient sans aucune notion de l'internationalité et c'est devenu
l'introduction de la laïcité à la con. »
Des problématiques
apparaissent ainsi sur la manière d’enseigner, la place des langues notamment,
et plus que cela, sur les activités proposées par l‘école, prenant place en
ville, qui doivent alors être modifiées. Par exemple, en 2009, l’école
internationale proposa d’organiser la fête de Saint-Martin en ville. La mairie
refusa considérant que Saint-Martin c’est religieux. Étant donné qu’il s’agit
d’une procession aux flambeaux, il est alors proposé d’appeler cette fête la
fête des lumières. La mairie accepte finalement. Le simple fait de changer le
nom de cette fête, sans en modifier son contenu, a permis de l’effectuer dans
un espace public. Pour la majorité des acteurs le nom religieux importait peu.
Il s’agissait avant tout d’une activité culturelle.
Le
Québec
Précédemment je disais
que sont fêtés Noël et Pâques dans l’école mais sans aucun symbole religieux, alors
que des fêtes religieuses, éloignées du bagage culturel français, furent
célébrées au sein même de l’école, sous prétexte que le public qui assiste à
cette célébration n’était pas en mesure d’interpréter les symboles religieux. Chaque
année, au Québec, avant le 25 décembre, revient le débat sur le fait de dire « joyeux
Noël » ou « joyeuses fêtes », pour ne pas offusquer les non
chrétiens. On remarque ici que dans les 2 cas, la tradition chrétienne pose
difficulté. Pourtant, comme c’est élaboré dans ma recherche de doctorat, très
souvent, cette tradition chrétienne est perçue comme étant un bagage culturel
par les acteurs, et non du religieux.
Par ailleurs, la
laïcité québécoise tend à s’inspirer de la laïcité française. Cela ne se cache
pas. Il suffit de regarder de plus près le voyage de Pauline Marois en France, durant
lequel François Hollande a donné tout son appui au projet de charte, rappelant
par ailleurs l’«expérience» séculaire de la France en matière de laïcité
d’État.
D’ailleurs, remarquons que dans les mêmes temps ces 2 pays proposent une
charte. En France, une charte de la laïcité a été publiée en septembre dernier
par le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon; et dans le même
temps le gouvernement québécois a révélé les grandes lignes de sa charte des
valeurs, projet de loi 60, baptisé «Charte affirmant les valeurs de laïcité
et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et
les hommes et encadrant les demandes d’accommodement».
Il est intéressant de
relever qu’il y a peu de temps au Québec il était question d’une laïcité
« ouverte », et que ce modèle de laïcité se faisait de plus en plus
écho en France. Plusieurs fois lors de mes entrevues à l’école EIPACA il fut
question de l’ouverture à la diversité de la part du Québec, sous-entendu en
comparaison avec la fermeture laïque française.
Au sein de cette école,
en 4 ans, j’ai ainsi vu évoluer une laïcité scolaire plutôt « ouverte »
(on célèbre la diversité, et même des fêtes religieuses, dans la cour, sauf
quand c’est un bagage chrétien où le religieux est célébré sous un aspect
païen), à une laïcité qui tend à se refermer, pour plusieurs raisons : manque
de moyens, coupés par l’éducation nationale, manque de personnel compétent en
matière de diversité (les enseignants étant de plus en plus issus de
l’éducation nationale) et renforcement
de la langue française (la dernière information reçue est que même les élèves
d’une section qui ont suivi une matière en anglais doivent passer les examens
de l’État en français…).
Je ne peux m’empêcher d’y voir ici l’évolution
d’une laïcité québécoise. Certes le contexte est différent, mais en regardant
les débats sur la laïcité et la diversité au Québec, j’ai le sentiment que le
gouvernement actuel tend de plus en plus à désirer une laïcité à la française,
et ainsi, à un renforcement de valeurs québécoises, à savoir notamment la
langue française, tout en rejetant de plus en plus la religion. Évidemment, le
parallèle est à creuser, et c’est bien là le cœur de la recherche, mais la
laïcité de l’État ne risque-t’elle pas d’être un piège pour de possibles
ouvertures à l’autre ?
Conclusion
En soutenant la
diversité des langues tout en développant une langue commune, celle du pays
d’accueil, en prenant le temps de former les enseignants à la diversité, en
développant les interactions culturelles et religieuses sans qu’il soit
question de prosélytisme, et en adoptant ainsi une laïcité
« souple », cette dernière ne devient pas un carcan dans lequel se
présenteront toujours des cas particuliers. La direction de l’établissement
EIPACA doit constamment ajuster son fonctionnement selon les demandes
particulières qui lui sont faites, ce qui lui confère une certaine expertise
sur l’adaptation des cultures qui la composent dans le contexte du modèle
d’intégration français. En somme, le schéma d’intégration éducatif développé
par l’école EIPACA se situe entre une laïcité française « stricte »,
sans l’appliquer à la lettre, et l’idée d’une laïcité « ouverte ».
Cependant, sous la pression de l’Éducation Nationale Française, garante de la
laïcité Française au sein des écoles publiques, l’école EIPACA tend de moins en
moins à mettre en avant la diversité de ses acteurs, et donc à mettre de côté
l’identité culturelle et religieuse de ceux-ci.
La volonté du Québec de
« renforcer » la laïcité, de se rapprocher d’une laïcité à la
française risque de faire glisser la société québécoise vers des problématiques
d’identité similaires à celles observées à Manosque avec cette école : renforcement
du rejet de la religion au privé, problématiques de ce qui est culturel ou
religieux, place des langues,… ce que nous observons déjà depuis plusieurs
années dans la belle Province. Ces questionnements deviendront très récurrents
avec la Charte, car ce n’est pas parce qu’il y a une Charte de la laïcité que
les problématiques liées à la diversité disparaissent. Bien au contraire, cette
dernière sera toujours présente, et apportera son lot d’accommodements et de
discussions. Il faut notamment savoir qu’en France, en matière de diversité
religieuse, de nombreux accommodements, appelés arrangements, se font chaque
année, mais ceux-ci sont tus, car on ne doit en parler au risque d’heurter les
oreilles de notre chère laïcité française.
L’évolution de l’École
EIPACA nous permet de réfléchir à un nouveau modèle d’intégration à développer dans
les écoles, et plus largement, dans les sociétés laïques, si la laïcité ne
finit pas par imposer de « cacher » cette diversité et de
« niveler » les identités.
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