Colloque 2

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Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre

Colloque Je est un autre: regards croisés sur les frontières de l'identité.
Le mardi 11 février 2014, au Centre des arts et des sciences de l'Université de Montréal. Sous la présidence du philosophie Charles Taylor

jeudi 20 février 2014

Colloque Je est un autre: Ludovic Robert

Voici la présentation de M. Ludovic Robert.

Pour visionner le présentation sur Youtube, cliquez ICI




Identités et laïcité en France et au Québec : étude de l’École internationale de Manosque

La mondialisation, entraînant par le mouvement de populations hétérogènes une confrontation de valeurs, demande  une révision continue des équilibres. Durant les dernières années, ses effets se sont accrus dans les démocraties libérales obligeant les populations locales et immigrantes, ainsi que les institutions à composer avec la pluralité culturelle et religieuse.
         Tout individu est porteur d’une culture et d’une religion propres à son identité. Les valeurs fondatrices de cette identité sont multiples (langue, nationalité, religion, genre, etc…), et leur prise en compte est importante, au risque de se trouver confronté avec l’identité nationale du pays.
         Certaines écoles publiques disposent d’une telle diversité de cultures et de religions qu’elles centralisent au sein de leur établissement des dynamiques d’acculturation et d’inculturation (Barthoux, 2008).



Dans le cadre de notre recherche de terrain, nous nous intéressons à une école internationale publique créée à Manosque, en France, en 2009, à la demande du gouvernement français, suite au lancement du programme de recherche nucléaire mondial ITER. Celle-ci accueille 37 nationalités et propose des cours en 6 sections linguistiques (anglais, allemand, espagnol, italien, chinois et japonais).
La direction de l’établissement souligne les aspects culturels et linguistiques de chaque élève, tout en essayant de respecter la laïcité scolaire (Baubérot et Estivalèzes, 2005). Dans un tel cadre, la direction de l’École Internationale de Manosque doit prendre en compte à la fois les normes imposées par l’Éducation Nationale et les demandes des nouveaux arrivants, fortement impliqués dans le processus d’éducation de l’établissement.
Des confusions apparaissent. Les incompréhensions des enseignants sur ce qui est autorisé ou non dans un contexte laïc, nous révèlent toute la difficulté du vivre-ensemble.
Cette étude réalisée lors des débats sur la laïcité et l’identité nationale en France fait surgir les réactions et les discussions entre professeurs et élèves nouvellement arrivés en France vis-à-vis de l’identité nationale et de la citoyenneté.

          L’école internationale de Manosque : une alternative ?
Ma recherche de doctorat porte sur une école internationale publique prônant la diversité et sa mise en avant, tout en respectant la laïcité. L’École internationale de Manosque accueille chaque année de nombreux élèves venant de l’étranger, dont les parents viennent travailler sur un projet de recherche nucléaire. Ainsi, 37 nationalités, dont des locaux, se côtoient dans l’école. Pour mettre en avant sa diversité l’école organise des fêtes culturelles. Les fêtes religieuses, école publique laïque oblige, n’y sont pas admises, tout du moins, si tout le monde est en mesure de les reconnaitre. Ainsi, seront fêtés Noël et Pâques sans aucun symbole religieux, ce qui est le cas pour toutes les écoles publiques françaises, tandis que quelques fêtes religieuses, éloignées du bagage culturel français, furent célébrées au sein même de l’école (la fête en l’honneur de Shakti par exemple), sous prétexte que le public qui assiste à cette célébration n’était pas en mesure d’interpréter les symboles religieux. Il n’y aurait pas alors de prosélytisme. Cela pose beaucoup de questions aux enseignants dont la mise en avant de leur religion est interdite. Je pense notamment à une enseignante italienne qui souhaite porter son crucifix car il lui rappelle à la fois sa grand-mère et son pays. Dans un tel cas, ce n’Est pas un objet religieux, mais symbolique, d’un point de vue personnel. Cela montre d’ores et déjà toute la difficulté du respect stricte de la laïcité dans le cas de religions et de traditions éloignées des références culturelles et religieuses prégnantes en France vis-à-vis de religions ancrées dans le pays.
L’identité de cette école, appelée EIPACA (Pour École Internationale Provence-Alpes-Côte-D’azur), est la multiculturalité sous couvert de la laïcité. De plus en plus, les enseignants engagés sont issus de l’éducation nationale où ils représentent l’État, la République. Si les cours donnés se font par langue de section selon la langue d’appartenance des élèves (anglais, allemand, espagnol, italien, chinois et japonais), ils se font également en français. La particularité de cette école est de permettre aux élèves d’intégrer le système scolaire français, tout en gardant leur langue d’origine. Cela la distingue de tous les établissements publics français qui ne tiennent pas compte de la langue d’appartenance de leurs élèves.
L’école EIPACA offre ainsi une nouvelle forme d’enseignement, de socialisation, et surtout d’intégration à la société française. Si cette intégration n’est pas la volonté de tous les élèves, on constate tout de même que de plus en plus d’élèves font le choix de rester en France. Finalement, ce n’est pas une identité nationale prônée par la République, et représentée par la laïcité, qui permet d’intégrer ces futurs adultes, mais le simple respect de leur culture et de leur langue d’appartenance.
Cela ne se fait pas sans difficultés et incompréhensions du système français mais une étude faite sur 4 ans montre qu’un équilibre nait de cette diversité, tant culturelle que sociale ou professionnelle. L’école engage des titulaires formés par l’éducation nationale et des contractuels Français ou étrangers. Une diversité professionnelle est ainsi présente par les différentes formes de contrats proposée aux enseignants. Et si l’acculturation républicaine laïque ne fonctionne pas totalement auprès de la population de cette école, nous observons l’émergence d’une autre forme d’intégration qui tente de respecter le système français. Les participations citoyennes d’enseignants ou de parents d’élèves nouvellement arrivés sont rares mais une relecture de la laïcité française est effectuée par tous les acteurs de cette école afin d’intégrer au mieux la diversité qui se côtoie en ses murs.
Notre étude de doctorat met alors en avant toutes les spécificités de cette école qui se veut novatrice en matière d’intégration. Et si le public de l’école est différent de celui des autres établissements français, nous montrons dans notre recherche en quoi les idées développées par l’école EIPACA peuvent tout de même servir à l’ensemble des établissements scolaires publics français, et québécois.

Le revers de la médaille
Cependant, si l’École EIPACA permet le rapprochement des cultures et la valorisation de celles-ci au sein de son établissement, cette école est publique, donc laïque. Au fil du temps, l’école évolue d’une volonté multiculturelle très développée à une diminution des activités axées sur la diversité. Plusieurs facteurs influencent cela : le nombre d’élèves croissants, ce qui rend difficile l’organisation de telles fêtes, ainsi que des problèmes d’organisation des calendriers, mais surtout l’influence croissante de l’éducation nationale, représentante de la laïcité au sein des écoles.
Un des intervenants, externe à l’école, à l’origine d’un mouvement prônant la diversité à Manosque, nous dit « Au début l’éducation nationale laissait faire. Donc le directeur de l’école a pu constituer son corps professoral de façon intéressante par rapport au projet. Puis l'éducation nationale décriait que puisque c'est une école éducation nationale il faut que ce soit des professeurs de l’éducation nationale. Cet été (2012) il y a un tas de gens qui ont été virés. Et des gens arrivaient sans aucune notion de l'internationalité et c'est devenu l'introduction de la laïcité à la con. »
Des problématiques apparaissent ainsi sur la manière d’enseigner, la place des langues notamment, et plus que cela, sur les activités proposées par l‘école, prenant place en ville, qui doivent alors être modifiées. Par exemple, en 2009, l’école internationale proposa d’organiser la fête de Saint-Martin en ville. La mairie refusa considérant que Saint-Martin c’est religieux. Étant donné qu’il s’agit d’une procession aux flambeaux, il est alors proposé d’appeler cette fête la fête des lumières. La mairie accepte finalement. Le simple fait de changer le nom de cette fête, sans en modifier son contenu, a permis de l’effectuer dans un espace public. Pour la majorité des acteurs le nom religieux importait peu. Il s’agissait avant tout d’une activité culturelle.

Le Québec
Précédemment je disais que sont fêtés Noël et Pâques dans l’école mais sans aucun symbole religieux, alors que des fêtes religieuses, éloignées du bagage culturel français, furent célébrées au sein même de l’école, sous prétexte que le public qui assiste à cette célébration n’était pas en mesure d’interpréter les symboles religieux. Chaque année, au Québec, avant le 25 décembre, revient le débat sur le fait de dire « joyeux Noël » ou « joyeuses fêtes », pour ne pas offusquer les non chrétiens. On remarque ici que dans les 2 cas, la tradition chrétienne pose difficulté. Pourtant, comme c’est élaboré dans ma recherche de doctorat, très souvent, cette tradition chrétienne est perçue comme étant un bagage culturel par les acteurs, et non du religieux.
Par ailleurs, la laïcité québécoise tend à s’inspirer de la laïcité française. Cela ne se cache pas. Il suffit de regarder de plus près le voyage de Pauline Marois en France, durant lequel François Hollande a donné tout son appui au projet de charte, rappelant par ailleurs l’«expérience» séculaire de la France en matière de laïcité d’État. D’ailleurs, remarquons que dans les mêmes temps ces 2 pays proposent une charte. En France, une charte de la laïcité a été publiée en septembre dernier par le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon; et dans le même temps le gouvernement québécois a révélé les grandes lignes de sa charte des valeurs, projet de loi 60, baptisé «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement».
Il est intéressant de relever qu’il y a peu de temps au Québec il était question d’une laïcité « ouverte », et que ce modèle de laïcité se faisait de plus en plus écho en France. Plusieurs fois lors de mes entrevues à l’école EIPACA il fut question de l’ouverture à la diversité de la part du Québec, sous-entendu en comparaison avec la fermeture laïque française.
Au sein de cette école, en 4 ans, j’ai ainsi vu évoluer une laïcité scolaire plutôt « ouverte » (on célèbre la diversité, et même des fêtes religieuses, dans la cour, sauf quand c’est un bagage chrétien où le religieux est célébré sous un aspect païen), à une laïcité qui tend à se refermer, pour plusieurs raisons : manque de moyens, coupés par l’éducation nationale, manque de personnel compétent en matière de diversité (les enseignants étant de plus en plus issus de l’éducation nationale) et  renforcement de la langue française (la dernière information reçue est que même les élèves d’une section qui ont suivi une matière en anglais doivent passer les examens de l’État en français…).
 Je ne peux m’empêcher d’y voir ici l’évolution d’une laïcité québécoise. Certes le contexte est différent, mais en regardant les débats sur la laïcité et la diversité au Québec, j’ai le sentiment que le gouvernement actuel tend de plus en plus à désirer une laïcité à la française, et ainsi, à un renforcement de valeurs québécoises, à savoir notamment la langue française, tout en rejetant de plus en plus la religion. Évidemment, le parallèle est à creuser, et c’est bien là le cœur de la recherche, mais la laïcité de l’État ne risque-t’elle pas d’être un piège pour de possibles ouvertures à l’autre ?

Conclusion
En soutenant la diversité des langues tout en développant une langue commune, celle du pays d’accueil, en prenant le temps de former les enseignants à la diversité, en développant les interactions culturelles et religieuses sans qu’il soit question de prosélytisme, et en adoptant ainsi une laïcité « souple », cette dernière ne devient pas un carcan dans lequel se présenteront toujours des cas particuliers. La direction de l’établissement EIPACA doit constamment ajuster son fonctionnement selon les demandes particulières qui lui sont faites, ce qui lui confère une certaine expertise sur l’adaptation des cultures qui la composent dans le contexte du modèle d’intégration français. En somme, le schéma d’intégration éducatif développé par l’école EIPACA se situe entre une laïcité française « stricte », sans l’appliquer à la lettre, et l’idée d’une laïcité « ouverte ». Cependant, sous la pression de l’Éducation Nationale Française, garante de la laïcité Française au sein des écoles publiques, l’école EIPACA tend de moins en moins à mettre en avant la diversité de ses acteurs, et donc à mettre de côté l’identité culturelle et religieuse de ceux-ci.
La volonté du Québec de « renforcer » la laïcité, de se rapprocher d’une laïcité à la française risque de faire glisser la société québécoise vers des problématiques d’identité similaires à celles observées à Manosque avec cette école : renforcement du rejet de la religion au privé, problématiques de ce qui est culturel ou religieux, place des langues,… ce que nous observons déjà depuis plusieurs années dans la belle Province. Ces questionnements deviendront très récurrents avec la Charte, car ce n’est pas parce qu’il y a une Charte de la laïcité que les problématiques liées à la diversité disparaissent. Bien au contraire, cette dernière sera toujours présente, et apportera son lot d’accommodements et de discussions. Il faut notamment savoir qu’en France, en matière de diversité religieuse, de nombreux accommodements, appelés arrangements, se font chaque année, mais ceux-ci sont tus, car on ne doit en parler au risque d’heurter les oreilles de notre chère laïcité française.
L’évolution de l’École EIPACA nous permet de réfléchir à un nouveau modèle d’intégration à développer dans les écoles, et plus largement, dans les sociétés laïques, si la laïcité ne finit pas par imposer de « cacher » cette diversité et de « niveler » les identités.

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