Colloque 2

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Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre

Colloque Je est un autre: regards croisés sur les frontières de l'identité.
Le mardi 11 février 2014, au Centre des arts et des sciences de l'Université de Montréal. Sous la présidence du philosophie Charles Taylor

vendredi 21 février 2014

Colloque Je est un autre: Khaoula Zoghlami

Voici la présentation de Mme Khaoula Zoghlami.

Pour visionner la présentation sur Youtube, cliquez ICI


Identités et quêtes de reconnaissance : le cas des jeunes de deuxième génération au Québec


Dans son essai «Les identités meurtrières», l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf aborde le thème de l’identité et s’attarde sur celle des individus d’origines diverses dont l’identité, multiple et complexe, demeure, selon lui, toujours incomprise. Pour illustrer son propos, il donne pour exemple les individus de son entourage qui lui demandent incessamment s’il se considère davantage comme Français ou comme Libanais. Toutefois, sa réponse qu’il résume par «l’un et l’autre» satisfait rarement à ses interlocuteurs, et ceux-ci, déçus, insistent pour qu’il leur révèle son identité profonde qui correspondrait, selon eux, à une seule et unique appartenance qui le définirait davantage que les autres. S’inspirant de son parcours personnel, l’écrivain explique donc comment les personnes qui, comme lui, revendiquent une identité plus complexe sont souvent marginalisées, et on les obligeraient à se confiner dans une unique appartenance en ne reconnaissant pas leur différence ni leur singularité (Maalouf, 1998).

Dans ce texte je me penche sur l’identité des jeunes de deuxième génération au Québec, et particulièrement ceux et celles d’entre eux appartenant à des minorités religieuses et qui porteraient un symbole religieux. À l’aide de la littérature existante, je vous présenterai des pistes de réflexion accompagnées de quelques questionnements que je me pose dans le cadre de mon mémoire de maîtrise. J’articule le concept d’identité avec celui de la reconnaissance, et je prends en considération l’identité religieuse, en m’inspirant du débat actuel sur la charte des valeurs/de la laïcité ayant lieu au Québec. Je tiens à souligner que la reconnaissance économique est à mon avis primordiale et indispensable, comme le démontre d’ailleurs Nancy Fraser (2005), mais elle ne sera pas le sujet de mon propos ici.


Les définitions de l’identité sont nombreuses et multiples. De mon côté, je retiens la définition de Taboada-Leonetti (1990) qui intègre un double statut psychologique et sociologique. Elle considère donc l’identité comme étant «l’ensemble structuré des éléments identitaires qui permettent à l’individu de se définir dans une situation d’interaction et d’agir en tant que qu’acteur social (p.43)».

Divers écrits ont été produits à propos de l’identité supposément dysfonctionnelle des jeunes d’origine immigrée et particulièrement des deuxièmes générations. Le chevauchement de plusieurs cultures dont témoigneraient ces jeunes serait considéré comme pathologique et présentant un risque d’instabilité. En effet, certains assument qu’un dysfonctionnement identitaire résulterait des conflits entre la culture d’origine, soit celle de la famille et des parents, et celle du pays d’accueil (Gallant, 2008; Mecheri, 1984). Les jeunes d’origine immigrée sont ainsi représentés comme «des êtres à problèmes, assis entre deux chaises et mal dans leur peau, parfois quasiment schizophrènes» (Giraud 1987, p.63-64). Par ailleurs, à travers ce genre de représentations véhiculées sur les jeunes d’origine immigrées, on pourrait comprendre l’adoption de politiques surtout répressives et d’exclusion comme solution aux problèmes sociaux qu’ils vivent, notamment dans les banlieues en France (Pallida, 1999).

Donc cette représentation propagée principalement par ceux qu’on appelle «les théoriciens de la pathologie sociale» a été aujourd’hui sévèrement critiquée et déconstruite par plusieurs chercheurs qui ont étudié les jeunes de deuxième génération.

Ici au Québec, une étude menée en 2007 par Myriam Simard a mis en avant l’idée que les jeunes de 2e génération, installés en région, élaborent voire bricolent une identité riche et complexe, à partir d’une combinaison d’éléments qu’ils puisent dans leurs racines culturelles, ethniques, religieuses et dans l’environnement québécois. Cette combinaison d’éléments pourrait être qualifiée selon Dallaire et Roma (2003) d’identité hybride résultant de l’intégration de plusieurs catégories identitaires qui pourraient même être considérées comme distinctes, voire même polarisées et à priori inconciliables.

Le rôle de la religion pour forger l’identité des individus et des groupes a souvent été ignoré, toutefois les quelques recherches qui s’y sont attardé soulignent son importance surtout pour les immigrants. En effet, la religion jouerait un rôle déterminant dans la préservation des traditions culturelles et ethniques et dans l’ajustement des premières générations à leur société d’accueil. Pour les deuxièmes générations, toutefois, elle représenterait surtout une source d’identité et d’appartenance, en plus de procurer un système de croyances qui les guideraient dans leur cheminement spirituel en donnant sens à leur vie (Peek, 2005).

Dans une étude sur le développement de l’identité religieuse chez les jeunes musulmans américains, Peek (2005) explique que les évènements de crise qui visent leur identité religieuse, en faisant un sujet de controverse et de débat public (ex. ce qui a suivi après le 11 septembre), font en sorte que celle-ci devient encore plus centrale dans la conception de soi de ces jeunes. La religion obtiendrait ainsi la primauté sur les autres types d’appartenances et deviendrait une base d’identification personnelle et collective. D’ailleurs comme le dit si bien Amin Maalouf «nous avons tendance à nous reconnaître dans notre appartenance la plus attaquée (p.34)».


Taylor (1994) établit un lien entre la reconnaissance et la formation de l’identité, et définit celle-ci comme étant « la perception que les gens ont d’eux-mêmes et des caractéristiques fondamentales qui les définissent comme êtres humains (p.40) ». Par reconnaissance ici, je veux dire, et je reprend les mots de Hegel :« une relation réciproque idéale entre les humains, dans laquelle chacun voit l’autre comme son égal, et en même temps, comme séparé et différent de lui (p.10) » (Fraser, 2005).

Taylor affirme qu’une personne ou un groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation identitaire si les gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image limitée, avilissante ou méprisable d’eux-mêmes. Ainsi, Taylor considère que la non-reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate peut causer du tort et constituer une forme d’oppression, en emprisonnant les individus dans une manière d’être qui est fausse, déformée et réduite. De plus, Taylor affirme que les relations qu’entretiennent les individus au sein de la collectivité sont une composante importante de leur subjectivité. Ainsi, une personne ne devient complètement individu à part entière, et n’atteint une subjectivité équilibrée, que lorsqu’elle reconnaît les autres et est reconnue par un autre sujet.

La plupart des théories de la reconnaissance, malgré leurs divergences, intègrent l’idée que l’être humain ne peut se former que de manière intersubjective, et que la reconnaissance est une composante primordiale pour la formation d’une conscience de soi et d’une identité équilibrée, et devrait être acquise à travers une lutte active (Merle, 2007), et donc le sujet d’une quête continue.

Par ailleurs, une étude effectuée en Grande-Bretagne par O’Toole et Gale (2010) met l’emphase sur le rôle prédominant que prend l’identité religieuse dans la mobilisation politique et sociale -donc dans la lutte pour la reconnaissance- des jeunes Britanniques de confession musulmane, de deuxième et troisième générations, et ce surtout dans des conditions de discrimination. Lors des entrevues effectuées avec eux, ces jeunes insistent pour dire qu’ils sont davantage inspirés par les valeurs universelles que véhicule leur religion, que par les règles religieuses rigoureuses, qu’ils trouveraient incompatibles avec leur société moderne. La religion devient donc pour eux un motivateur et un catalyseur pour revendiquer leur droit à l’égalité et à la justice. Selon les mêmes auteurs, ces jeunes se réapproprieraient la religion, indépendamment de leurs parents, et ce tout en se considérant comme entièrement citoyens dans la société dans laquelle ils vivent.

Parmi les quelques études qui ont investigué la place de l’identité religieuse chez les jeunes de deuxième génération au Québec, il y a celle de Paul Eid menée avec les jeunes arabes, musulmans et chrétiens en 2007 (soit avant le début de toute la controverse sur la place de la religion au Québec). Eid constate que l’identité ethnique de ces jeunes (donc se définir en tant qu’arabes) est plus saillante que leur identité religieuse. La religion serait davantage considérée comme un élément structurant de leurs interactions sociales qu’ils confineraient surtout au domaine de la croyance personnelle. Paul Eid souligne que les jeunes mobiliseraient la religion de manière sélective et contextualisée à leur réalité canadienne et/ou québécoise, tout en se désengageant de plus en plus des organisations religieuses.

De plus, Eid remarque dans son étude que les jeunes arabes de 2e génération se permettent d’attribuer à leurs signes religieux, considérés ici comme une forme d’expression de la foi religieuse, un sens différent du sens traditionnel, présent par exemple dans le pays d’origine, ce qui témoigne, selon le chercheur, d’une réappropriation personnelle du signe religieux.

La littérature qui étudie le port des signes religieux est de plus en plus nombreuse et dans sa majorité elle concerne le voile islamique (le Hidjab) porté par les femmes musulmanes. Wagner et al. (2012) dans une recherche sur le lien entre le voile et l’identité des femmes musulmanes, comparent un groupe de femmes voilée en Indonésie, soit dans une société majoritairement musulmane, à celle de femmes voilées en Inde, donc appartenant à une minorité, qui d’autant plus sont la cible de représentations négatives en raison de leur appartenance religieuse. Ce que met à l’avant cette étude, c’est la polysémie du signe religieux et les significations différentes et multiples qu’il peut acquérir chez une même communauté de croyants, mais surtout le rôle qu’il peut jouer dans la protection d’une identité religieuse menacée par un environnement de discrimination. Ainsi le voile chez les femmes musulmanes en situation de minorité religieuse en Inde serait devenu un moyen de guérir une identité blessée et rejetée, une façon de s’affirmer et de se faire reconnaître, d’être les portes paroles et les représentantes de leurs communautés religieuses dans le but de vaincre les stéréotypes et les stigmatisation qui les touchent. Bref, le voile serait devenu le moyen d’expression d’une revendication et d’une lutte pour la reconnaissance.

Donc, pour mieux saisir la processus identitaire des jeunes québécois de deuxième génération issus de minorités religieuses, et à la lumière du lien intime entre leur identité, notamment religieuse, et la reconnaissance, il est à mon avis pertinent de se pencher sur les marques de reconnaissance, culturelles et économiques, envers les minorités religieuses au Québec.


Le projet de charte des valeurs québécoise, ou encore la charte de la laïcité proposée par le Parti Québécois pourrait être considéré comme le symptôme d’un manque de reconnaissance des minorités religieuse. En effet, s’il advenait que ce projet de loi soit adopté dans sa totalité, il empêcherait les membres de minorités religieuses portant des signes religieux ostentatoires d’accéder à des emplois de la fonction publique et de ce fait vivre une marginalisation sociale et économique encore plus prononcées que ces minorités semblent vivre déjà. De plus, dans la première version du projet de la charte, celui-ci a été présenté en tant que garant de la sauvegarde des «valeurs québécoises» qui seraient menacées entre autre par des symboles religieux rétrogrades, pour la plupart associés à des minorités religieuses. En ce sens, à travers la charte des valeurs québécoises, le gouvernement emploierait un raccourci dans la définition des signes religieux, sans prendre la peine de s’enquérir de la signification que leur accordent les immigrants et surtout les jeunes québécois et québécoises de minorités religieuses qui le portent et qui sont nés et ont grandit au Québec.


Enfin, comme en témoignent divers auteurs dont Eid (2007), ces jeunes semblent être porteurs d’une identité riche et complexe dont l’identité religieuse constitue une part importante. Cette identité religieuse étant de plus en plus visée par les débats politiques, y aurait-il un risque de la voir s’exacerber pour en faire l’appartenance la plus importante, voire déterminante, pour ces jeunes?

Par ailleurs, comme le souligne Simard (2007), l’hybridité identitaire des jeunes québécois de 2e génération semble être le fruit d’un bricolage identitaire et d’une réappropriation d’une foule de symboles culturels et religieux qu’ils ont adapté à leur réalité québécoise. Toutefois, dans un environnement de discrimination où ils ne se sentiraient pas reconnus, où ils seraient devenus l’Autre étranger et menaçant, l’identité religieuse, ainsi que son symbole, pourraient, selon Peek (2005), acquérir une signification d’affirmation identitaire. En marginalisant les jeunes québécois et québécoises de minorités et en les obligeant à choisir entre leur appartenance québécoise d’un côté, et leur appartenance religieuse de l’autre, serait-il possible que ceci transforme leur rapport à leur signe religieux et peut-être même à leur religion? Enfin, serait-il envisageable que leurs appartenances se polarisent au risque de mettre en péril leur si précieuse hybridité?


Bibliographie


Dallaire, C. et Roma, J. (2003). « Entre la langue et la culture, l’identité francophone des jeunes en milieu minoritaire au Canada. Bilan des recherches », (pp. 30-46). Dans R. Allard (dir.) Actes du colloque pancanadien sur la recherche en éducation en milieu francophone minoritaire : Bilan et prospectives. Moncton, NB : Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) et Centre de recherche et de développement en éducation (CRDE), Université de Moncton

Eid, P. (2007). Being Arab: Ethnic and Religious Identity Building Among Second Generation Youth in Montreal. McGill-Queen’s Press - MQUP.

Fraser, N. (2005). Qu’est-ce que la justice sociale ? reconnaissance et redistribution. Paris: Éd. la Découverte.

Gallant, N (2008) Choix identitaires et représentations de l’identité issue de l’immigration chez la deuxième génération. Canadian Ethnic Studies Association, 40(2). p 35-60. DOI: 10.1353/ces.2010.0019

Giraud, Michel. 1987. Mythes et stratégies de la « double identité ». L’homme et la société. Numéro spécial « La mode des identités », dir. René Gallissot, 83: 59-67.

Honneth, A (2000). La lutte pour la reconnaissance. Gallimard, [Paris].

Mecheri, Hervé-Frédéric. 1984. Les jeunes immigrés maghrébins de la deuxième génération et/ou La quête de l’identité. Collection « Migrations et changements ». n° 3. Paris : L’Harmattan et C.I.E.M.I.

Maalouf, A. (1998). Les identités meurtrières. Paris: Grasset.
Merle, J-C. (2009) Lutte pour la reconnaissance, éthique de la reconnaissance et perte de la reconnaissance. Dans «Reconnaissance, Identité et intégration sociale». Dir. Lazzeri, C. & Nour, S. pp. 363-373. Paris : Presses universitaires de Paris Ouest.

O’Toole, T., & Gale, R. (2010). Contemporary grammars of political action among ethnic minority young activists. Ethnic and Racial Studies, 33(1), 126–143. doi:10.1080/01419870903118122

Peek, L. (2005). Becoming Muslim: The Development of a Religious Identity. Sociology of Religion, 66(3), 215‑242. doi:10.2307/4153097

Reitz, J. G., & Somerville, K. (2004). Institutional change and emerging cohorts of the “New” immigrant second generation: Implications for the integration of racial minorities in Canada. Journal of International Migration and Integration / Revue de l’integration et de la migration internationale, 5(4), 385–415. doi:10.1007/s12134-004-1021-y

Simard, M. (2007) Pratiques novatrices des jeunes d’origine immigrée dans les régions du Québec. Dans «La 2e génération issue de l’immigration : Une comparaison France-Québec». Dir. Potvin, M. ; Eid, P. ; Venel, N. pp. 103-16. Athéna : Outrement.
Taboada-Leonetti (1990) Stratégies identitaires et minorités : le point de vue du sociologue. Dans «Stratégies identitaires». Dir. Camilleri. C. & al. pp. 42-83. Presses universitaires de France : Paris.

Taylor, C. (1994). Multiculturalisme: différence et démocratie. [Paris]: Flammarion.
Wagner, W.; Sen, R.; Permanadeli, R.; Howarth S, C. (2012). The veil and Muslim women’s identity : Cultural pressures and resistance to stereotyping. Culture Psychology. 18(4), 521-541. DOI : 10.1177/1354067X12456713

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