Colloque 2

Colloque 2

Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre 1

Colloque Je est un autre

Colloque Je est un autre: regards croisés sur les frontières de l'identité.
Le mardi 11 février 2014, au Centre des arts et des sciences de l'Université de Montréal. Sous la présidence du philosophie Charles Taylor

samedi 22 février 2014

Colloque Je est un autre: Geneviève Bond Roussel

Voici la présentation de Mme Geneviève Bond Roussel (1).

Pour visionner la présentation sur Youtube, cliquez ICI


L'égalité des convictions politiques dans la Charte des droits et libertés de la personne: perspectives d'interprétation sous l'angle de l'identité politique

1. Introduction

En droit, la question de l'identité est habituellement abordée sous l'angle du droit à l'égalité, donc d'une protection contre la discrimination fondée sur certains motifs – le sexe, l'origine ethnique, les convictions religieuses, etc. Pour notre part, nous nous concentrons sur le motif des « convictions politiques » présent à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, car l'interdit de discrimination sur cette base fut appliqué par les tribunaux québécois en une seule occasion – et sans la définir très exhaustivement – malgré la mise en œuvre de la Charte en 1976. En conséquence, la teneur et l'étendue de la protection demeurent encore assez floues. Cette situation fut qualifiée de « prudence excessive, et parfois même restrictive [des tribunaux], quant à la discrimination politique, combinée à une réticence à étudier en détail les questions de fond soulevées » (2) ainsi qu'à « une volonté de leur part de restreindre l'étendue de l'interprétation des termes convictions politiques » (3). La présente réflexion s'amorce sur le pari qu'un examen des principes fondamentaux du droit libéral (4) permettra de mettre au jour des obstacles conceptuels qui expliquent cette réticence, mais aussi de les dépasser. Il s'agit donc de regarder d'abord les fondements du droit à l'égalité, et particulièrement à l'égalité politique, au sein du droit libéral moderne pour faire ressortir la conceptualisation de l'identité propre à cette tradition. Nous verrons ensuite l'évolution de ce droit à l'égalité pour s'adapter à l'époque postmoderne et la conceptualisation renouvelée de l'identité qu'elle suppose.


De façon transversale à cette présentation, nous nous attaquerons à la question au cœur de notre réflexion : quelle protection le droit libéral peut-il offrir à diverses convictions politiques, particulièrement lorsqu'elles prennent position contre le modèle libéral?

Comme l'annonce cette question, notre argumentation sera développée à l'intérieur de la pensée libérale, plutôt qu'à partir d'un point de vue critique (lequel aurait aussi pu être pertinent). Cependant, nous adoptons un style plus libre que la réflexion juridique traditionnelle, ce qui fait peut-être de cette réflexion un « essai » juridique5. Finalement, nous tenons à avertir un public profane6 que notre analyse sera centrée sur les représentations du monde juridique plutôt que la sur la réalité sociale empirique bien que nous aurons certaines illustrations de la capacité des premières à nous renseigner sur la deuxième.


2. Le droit à l'égalité au sein de l'État libéral moderne

L'émergence du concept d'égalité juridique peut être positionnée dans les fondements de l'État et du droit modernes. La Réforme et les sanglantes guerres de religion qui en résultèrent entre protestants et catholiques au sein des États monarchiques dès le XVIe siècle forcèrent une réflexion sur le fondement divin de la légitimité politique (7). Au sein de ces sociétés, les personnes étaient déjà des sujets de droit, mais leur statut était relié à leur « rôle social déterminé traditionnellement » (8). Le mouvement vers la modernité fut un long processus « de revendication et d'institution de l'égalité substantielle des droits [par] l'effacement ou la fusion progressive des privilèges particuliers et hiérarchisés [traditionnels] dans un droit commun » (9) semblable pour tous et partagé par tous, car « inhérent à la subjectivité humaine en tant que telle » (10). Ce processus de revendication créa, d'une part, l'État de droit moderne et national subordonnant le pouvoir politique aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité des droits et, d'autre part, le statut de citoyen titulaire de la personnalité juridique (11). De ce portrait historique à grands traits, il faut retenir que l'émergence du concept d'égalité en droit est concomitante à la fondation de l'État moderne et que, déjà, le concept est relié à celui d'identité. En effet, la personnalité juridique en tant qu'assurance d'égalité devant la loi et devant l'État est reconnue en droit d'abord aux citoyens d'un pays (12). Ainsi, la personnalité juridique est le pendant en droit du statut politique de citoyen, ie de titulaire de l'identité nationale. Cette identité nationale est la seule identité qui intéresse le droit moderne, dont le droit libéral sur lequel nous nous concentrerons dans le présent texte.

Effectivement, le droit libéral s'élabore sur un échafaudage conceptuel masquant les appartenances identitaires autres que l'appartenance nationale : la distinction entre la sphère publique et la sphère privée. Cette sphère privée, définie comme les relations entre individus, est le lieu des particularismes où peut s'exprimer et se vivre la diversité religieuse et où chacun doit être gouverné par le principe de tolérance quant à ce pluralisme. Outre la diversité religieuse, tout autre objet de diversité identitaire sera par la suite géré au sein de cet échafaudage conceptuel dualiste de l'État libéral – nous pouvons ici penser notamment à la diversité ethnique et à la diversité sexuelle. Dans la sphère publique, définie comme les relations entre l'État libéral et les citoyens, le principe de neutralité encadre les actions de l'État en ce sens que ce dernier « doit, par souci de justice, être neutre entre les différentes idées du bien » (13), ce qui :

« oblige l'État à rester aveugle à tout jugement de valeur intrinsèque portant sur les individus ou sur les conceptions du bien choisies par les individus [… de telle façon que ce choix de] valeurs intrinsèques au niveau de [l]a vie morale personnelle [...] n'a aucune place dans le débat politique » (14).

Ainsi, le cantonnement des actions de l'État libéral dans la sphère publique prohibe aux décideurs de fonder leurs décisions sur des choix moraux ou religieux15. Dans cette sphère publique, la personnalité juridique conjuguée avec d'autres droits inhérents au libéralisme assure de façon formelle la participation à la communauté politique que constitue l'État; c'est ici que nous pouvons constater une certaine égalité politique. Les droits politiques, comme le droit de vote et le droit de se présenter à une élection, assurent à tous les citoyens la possibilité de participation à l'organisation politique étatique, nous entendons par là les structures représentatives de l'État16. De même, la liberté d'expression17 permet de faire valoir dans l'espace public toute idée politique et protège ainsi la participation aux débats publics sur les questions d'intérêt public. La sphère publique à laquelle tout citoyen a accès pour faire valoir ses idées politiques comprend donc les structures formelles de l'État et l'espace du débat public. Dans la conception moderne, le politique est fortement associé à la sphère publique et en opposition avec la morale et le religieux qui relèvent de la sphère privée18.

Cette présentation des fondements et de la protection de l'égalité politique dans le droit moderne nous permet de conclure cette section sur la conception moderne de l'identité qui s'en dégage. L'État moderne se présente comme l'incarnation structurelle d'un projet politique dont l'unité collective est la Nation – on parle d'ailleurs justement de l'État-Nation – laquelle constitue le seul groupe identitaire pertinent aux yeux de l'État pour déterminer les droits des individus. La personnalité juridique camoufle les particularismes individuels aux yeux de l'État et du droit, lesquels ne s'intéressent qu'à une seule identité sociopolitique : l'identité nationale qui devient le fondement de leur égalité politique19. Ainsi, nous sommes devant une conception juridique de l’identité plus proche de cette définition que l’on peut retrouver dans un dictionnaire général comme le Larousse : « Rapport que présentent entre eux, deux ou plusieurs êtres ou choses qui ont une similitude parfaite ». L'identité nationale crée l'abstraction de citoyens identiques. Il faut en comprendre que les convictions politiques n'y sont pas juridiquement conçues – et peut-être même pas perçues par les individus – comme relevant d'identités politiques diverses. Dans la suite du présent essai, nous nous demanderons de façon transversale si cette conception moderne de l'identité est toujours celle de notre époque.


3. L'ère postmoderne

La réalité d'un passage de l'époque moderne à celle postmoderne est encore l'objet de débats et les observateurs appuyant l'idée de cette transition ne s'entendent pas nécessairement sur son moment historique, ni sur l'ensemble de ses caractéristiques. Aux fins de la présente réflexion, nous nous concentrerons sur une caractéristique au cœur de la théorie critique de la postmodernité de Michel Freitag (20). Il s'agit du rôle joué par la garantie moderne d'égalité dans le passage à la postmodernité qui, pour ce sociologue, s'est enclenché à la fin du XIXe siècle et s'est accéléré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'égalité moderne – qui avait d'ailleurs pour but d'assurer la participation démocratique à l'espace public politique selon l'auteur – aurait d'abord permis une réflexion sur le droit. Des individus ont ainsi pris acte d'un certain désavantage partagé et se sont constitués en groupes pour exiger des mesures visant notamment l'atteinte de l'égalité formelle. Nous pouvons facilement penser ici à la première vague féministe ou à la lutte des Afro-Américains, ces deux groupes exigeant notamment le suffrage universel, mais aussi à des luttes plus tardives comme le droit au mariage civil entre personnes de même sexe. Cette égalité est qualifiée de formelle, car il s'agit de concrétiser la promesse moderne d'une égalité de tous les individus devant la loi et l'État par l'attribution du même statut juridique et l'accès aux mêmes droits et bénéfices de la loi. Freitag note la transformation subséquente de ces groupes en catégories identitaires ainsi que de leurs revendications en exigences de reconnaissance et de protection de leurs particularismes. En droit, cette tendance se traduit principalement par des demandes d'adaptation du droit aux subjectivités identitaires, d'abord, par la reconnaissance de l'existence de ces identités et ensuite, par l'adaptation du droit à ces subjectivités à l'encontre de normes considérées faussement neutres eu égard à leurs effets. Nous nous demanderons suite à cette présentation ce qu'elle ouvre comme potentialités pour la réflexion sur l'égalité politique.


3.1. L'adaptation du droit à l'égalité à l'éclatement de l'identité

Il n'est pas nécessaire ici de se positionner sur les racines de l'émergence du concept de droits fondamentaux; nous mentionnerons plus succinctement que la Déclaration canadienne des droits (21) de 1960, la Charte canadienne des droits et libertés (22) de 1982 et la Charte des droits et libertés de la personne (23) adoptée en 1975 au Québec trouvent application au Québec pour la protection des droits fondamentaux et que leur inspiration la plus directe est certainement la Déclaration universelle des droits de l'homme (24) adoptée en 1948 par l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies. Il n'est pas plus nécessaire au soutien de notre propos que nous nous attardions à la portée de chacun de ces outils de protection des droits fondamentaux. Ces derniers nous intéressent plutôt dans le présent contexte parce qu'ils contiennent chacun un article qui, d'une part, prévoit que les droits fondamentaux et les bénéfices de la loi doivent être également reconnus et garantis aux individus et, d'autre part, établit une liste de motifs interdits de discrimination. À titre d'illustration, nous reproduisons ici l'article 10 de la Charte québécoise puisqu'il s'agit du texte d'intérêt dans la présente discussion :

« Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap [nous soulignons]. » (25)

Bien que le droit à l'égalité soit un droit individuel, ie reconnu aux individus et jamais aux groupes, nous pouvons voir dans de tels motifs interdits de discrimination la reconnaissance de discriminations historiques ayant affligées différents groupes partageant une caractéristique commune (26). Le droit à l'égalité tel qu'énoncé dans ces grands textes relève donc d'une attention portée à la réalité sociohistorique; le droit reconnaît que certaines caractéristiques fondèrent des discriminations de la part des États malgré l'institution de la personnalité juridique. Alors que la pensée moderne garantissait l'égalité à une personne juridique « désincarnée » (27), - une personne abstraite détachée de ses caractéristiques personnelles – les outils de protection des droits fondamentaux conçoivent l'égalité à la lumière des réels rapports de pouvoirs qui se constituent socialement entre groupes – souvent entre minorités et majorités – sur la base de certaines caractéristiques ayant une valeur sociale.

Comme mentionné précédemment, Freitag soulève que les demandes d'égalité sont formulées par les groupes à l'ère postmoderne sous l'angle de revendications identitaires. Nous constatons que l'identité prend en droit une signification nouvelle et nécessaire pour donner sens au droit à l'égalité prohibant la discrimination sur certains motifs. Se détachant du premier sens courant mentionné précédemment – l'identité comme identique – l’identité s'approche maintenant d'un deuxième sens courant du dictionnaire  Larousse : « Caractère permanent et fondamental de quelqu'un, d'un groupe, qui fait son individualité, sa singularité [nous soulignons] ». Le concept d'identité qui n'apparaissait en droit moderne que sous l'angle de l'identité nationale se morcelle en différentes identités. D'ailleurs, parmi les caractéristiques identitaires reconnues comme motifs interdits de discrimination, l'origine nationale n'est qu'un motif parmi d'autres. Évidemment, l'identité nationale demeure centrale dans la relation du citoyen à l'État puisqu'elle est la condition de son appartenance, mais à l'intérieur de cette identité – qui conserve donc une partie de son caractère paradigmatique moderne – des subdivisions identitaires auxquelles le droit moderne était aveugle apparaissent maintenant clairement. Le passage à la postmodernité en droit nous apparaît comme un éclatement contenu de l'identité moderne : à une identité strictement politicojuridique, le droit intègre une identité sociale28.

L'égalité des outils de protection des droits fondamentaux permet la reconnaissance de la subjectivité d'individus positionnés dans une réalité sociale. L'analyse des rapports sociaux entre les différents groupes et la place que peut y jouer l'État permettra ainsi dans un premier temps d'invalider tous actes et toutes normes étatiques qui ont pour objet d'exercer une discrimination envers les individus appartenant à un groupe protégé. L'égalité des textes de protection des droits fondamentaux fut d'abord interprétée comme une réaffirmation de l'égalité formelle. L'égalité moderne, comprise comme une égalité devant la loi et l'État qui prohibe tous actes étatiques ayant pour objet la discrimination des personnes sur la base de certaines caractéristiques, n'aurait qu'été précisée par la désignation expresse des caractéristiques protégées. Cependant, la prise en compte de la réalité sociale que ces textes supposent a ouvert la voie à une conceptualisation renouvelée de l'égalité en faveur de ce que l'on nomme l'égalité réelle (dite aussi matérielle ou encore substantielle).

En effet, la réflexion sur le concept d'égalité a permis de constater que l'égalité formelle n'évacue pas certains biais et certaines discriminations de l'État qui apparaissent lorsque l'on s'intéresse aux effets des normes juridiques. D'où le développement d'une nouvelle conception de l'égalité : l'égalité réelle qui consiste en la prise en compte du contexte d'application des normes juridiques afin d'en rejeter les effets discriminants malgré une apparence neutre. L'égalité formelle peut ainsi être présentée comme une protection à l'encontre de discriminations directes. Il s'agit ici de différences de traitement présentes dans une norme juridique elle-même, laquelle ne répond donc pas au critère de neutralité. L'égalité réelle ajoute une protection supplémentaire (sans évacuer celle de l'égalité formelle) en protégeant à l'encontre de discriminations indirectes. On vise alors les différences de traitement qui ne sont pas prévues par une norme juridique elle-même – laquelle répond au critère de neutralité –, mais qui apparaissent dans les effets de son application29. Lorsqu'une telle discrimination indirecte est constatée, on favorise d'abord une réflexion sur la possibilité d'un ajustement de la norme juridique pour éradiquer l'effet discriminant et, en cas d'impossibilité, on doit évaluer l'opportunité d'une adaptation particularisée de la norme en faveur de l'individu ou du groupe désavantagé; il s'agit ici du fameux accommodement raisonnable30.

Notre propos est moins intéressé à l'exposition des principes d'application de l'accommodement raisonnable qu'à soulever que l'égalité – formelle comme réelle – doit être comprise à la lumière des principes libéraux comme un outil d'inclusion (31). La protection vise dans les deux cas l'inclusion de tous au projet politique et à la société; ce que l'égalité réelle ajoute à l'analyse est une attention portée aux conditions de la réalisation de cet objectif d'inclusion. Ainsi, l'examen de la réalité sociale quant au rôle de l'État et des normes juridiques dans les rapports de force entre les groupes visés par un motif interdit de discrimination devra s'intéresser à l'objet et à l'effet des actes étatiques, notamment en ce qui à trait à des effets d'exclusion.


3.2. Égalité réelle et identité politique : rendre visibles d'autres limites de l'égalité politique

L'évolution du droit à l'égalité peut nous aider à comprendre la transformation de la protection de l'égalité politique en particulier. D'abord, la Charte québécoise en tant qu'outil de protection des droits fondamentaux constitue une reconnaissance juridique de l'existence de différentes convictions politiques, et surtout, de discriminations historiques sur cette base. Cette reconnaissance constitue un passage de la seule référence moderne à l'identité nationale vers l'identité politique en tant qu'appartenance à un projet politique. Nous entendons ici l'appartenance concrète à un groupe politique formel (parti politique, groupe de pression, groupe de réflexion, etc.), mais aussi l'adhésion ou la prise de position relativement à une idéologie, une mouvance ou une idée politique (quant à leur contenu ou leur mise en œuvre)32. L'interdit de discrimination sur la base des convictions politiques est d'abord une réaffirmation de l'égalité formelle entre les individus. Nous avons déjà vu que l'égalité politique moderne vise la protection de la participation à l'organisation politique étatique (les structures représentatives de l'État) et de la participation aux débats publics sur les questions d'intérêt public. La protection dans la Charte québécoise nous semble devoir être comprise comme s'inscrivant dans ces fondements du régime politique libéral.

Cependant, aux fins de la présente réflexion, nous allons maintenant nous demander ce que pourrait ajouter à la compréhension moderne de l'égalité politique une réflexion sous l'angle de l'égalité réelle des identités politiques (telles que définies comme l'appartenance à un projet politique) en ce qui concerne la participation aux débats publics sur les questions d'intérêt public. Notre recours à l'égalité réelle dans le cadre du présent essai vise un objectif plus modeste que d'élaborer les critères de l'accommodement raisonnable politique. L'approche de l'égalité réelle nous permet plutôt de nous intéresser d'un point de vue comparatif à l'accès réel des différents groupes politiques à la sphère publique et donc de se pencher sur les phénomènes d'exclusion par des actions de l'État de certaines convictions politiques avant même leur expression. Autrement dit, elle permet d'opérer un passage d'une conception de l'égalité politique qui protège une participation théorique à l'État et au débat public vers une conception qui prend acte des réels déséquilibres dans la concrétisation de cette participation. Nous pourrons ainsi constater des limites à l'égalité politique.

La participation aux débats publics sur les questions d'intérêt public est le cœur de la protection libérale de l'égalité politique. L'égalité formelle nous indique déjà que les actions de l'État au regard de l'expression politique des individus, ne doivent pas avoir pour objet de l'empêcher, de lui nuire ou de la sanctionner. Sous l'angle de l'égalité politique réelle cependant, ses actions ne doivent pas avoir pour effet de l'empêcher, de lui nuire ou de la sanctionner. La conception réelle de l'égalité prise isolément serait difficile à opérationnaliser : comment vérifier si chaque individu a un accès concret égal à la sphère publique sur les questions politiques? Comment s'en assurer d'une façon plus intéressée aux faits que l'abstraction moderne de l'égalité politique des citoyens? À notre avis, en intégrant à l'égalité réelle l'angle de l'identité. L'aspect collectif de cette dernière permet de s'intéresser aux différents groupes portant diverses idées politiques dans la sphère publique et de voir si certains sont évacués avec une certaine récurrence. Il s'agit de regarder si des actions de l'État ont pour résultat – volontaire ou non – de nuire à la participation de certains groupes politiques aux débats publics. Voyons un exemple illustrant de quelle façon cette approche permet de faire apparaître une atteinte à l'égalité politique dans la participation aux débats publics; nous limiterons notre propose à rendre visible une atteinte sans aborder la question du rachat de sa validité suite à une analyse judiciaire (33).

Certaines tentatives étatiques qui, lors d'une analyse sous l'angle de l'égalité formelle, peuvent sembler un simple encadrement de la liberté d'expression posent, sous l'angle de l'égalité réelle, des questionnements quant aux possibilités de concrétisation de la participation démocratique pour les partisans de certains projets politiques. Aux fins de l'analyse, nous nous intéressons à l'idéologie anarchiste puisqu'elle constitue à notre avis une pensée politique qui met fortement à l'épreuve la capacité inclusive de l'État libéral. L'opposition à l'État comme forme d'organisation politique de la société mène par exemple certains de ses partisans à rejeter toute participation aux structures de l'État (34). Mais cette renonciation n'en est pas une de toute forme d'activité politique. Au contraire, ses partisans s'engagent dans la propagation d'idées politiques ou encore la participation à des manifestations. Pour eux, le choix de la manifestation parmi les possibles moyens d'action politique semble être en lui-même un choix de nature politique qui exprime une identité politique puisqu'il s'agit d'un acte politique pouvant s'exercer en dehors des structures de l'État. Pour le droit libéral, ces activités sont considérées dans l'optique de la participation aux débats publics, telle que protégée par la liberté d'expression et l'égalité politique. Mais est-ce que cette forme d'expression de leurs convictions politiques est concrètement permise aux anarchistes québécois aujourd'hui?

Prenons l'exemple du Règlement P-6 de la Ville de Montréal qui, à son nouvel article 2.1, exige la divulgation préalable auprès du service de police de l'itinéraire de toute manifestation (35). Cet article est à l'heure actuelle appliqué (36) par le Service de police de la Ville de Montréal comme une condition de la légalité d'une manifestation. Ainsi, une manifestation, même pacifique, dont l'itinéraire ne fut pas divulgué s'expose à la procédure de l'arrestation de masse, parfois même sur le lieu du rassemblement avant la mise en branle de la manifestation. La manifestation n'a alors tout simplement pas lieue puisque les policiers procèdent à la détention et au déplacement des participants aux fins de leur identification et de la remise de constats d'infraction (d'une somme de quelques 630$), ce qui prend quelques heures. Cet article 2.1 et les autres modifications entrées en vigueur en mai 2012 font d'ailleurs l'objet d'une contestation de leur validité constitutionnelle eu égard aux droits fondamentaux (37). Les motifs qui seront invoqués ne nous sont pas connus (38); nous examinerons pour notre part la seule possibilité d'une atteinte à la jouissance de la liberté d'expression en toute égalité politique.

En vertu de l'égalité formelle, un tel règlement ne peut pas cibler un groupe en particulier sur la base de ses convictions politiques. Le règlement ne le fait pas en ce sens que la norme s'applique à toute manifestation; il serait cependant possible d'amener en preuve qu'il s'agit tout de même d'une volonté du législateur de cibler certains groupes politiques. Mais intéressons-nous plutôt à l'égalité réelle. Alors qu'au seul regard de la liberté d'expression et de l'égalité formelle, l'obligation de divulgation de l'itinéraire pourrait apparaître comme un encadrement minimal constituant une limite raisonnable à la liberté d'expression, sous l'angle de la liberté d'expression et de l'égalité politique réelle, on voit émerger une négation du droit de manifester de certains contestataires politiques. En effet, les anarchistes se retrouvent dans une situation où ils doivent choisir entre leurs convictions politiques qui s'opposent à la collaboration avec l'État (et de même avec ses représentants policiers) et l'exercice de leur liberté d'expression politique par l'organisation d'une manifestation. S'ils veulent rester fidèles à leurs principes et les exprimer par la manifestation, ils s'exposent à de fortes amendes et à la privation de leur liberté pour quelques heures. Or, la liberté d'expression en toute égalité sur les questions politiques comprend le choix du moyen d'expression que l'on considère le plus apte à transmettre notre message, d'autant plus lorsque ce choix relève lui-même de l'identité politique des individus. L'obligation de divulgation de l'itinéraire d'une manifestation n'a donc pas le même effet sur la possibilité de participation aux débats publics des individus dépendant de leurs convictions politiques. L'analyse avec le recours à l'égalité réelle fait ainsi apparaître un impact discriminatoire de l'article 2.1 du Règlement P-6 basé sur les convictions politiques.


4. Conclusion

Nous avons vu que les fondements du droit libéral moderne quant à l'égalité politique prohibent des actions de l'État qui aurait pour objectif de nuire à la participation des citoyens à la sphère publique – dans les structures de l'État ou le débat public – sur la base de leurs convictions politiques. Cette protection se déduit de l'attribution à tous les citoyens de la personnalité juridique conjuguée à des droits politiques et à la liberté d'expression. Nous avons constaté dans cet arrangement juridique une conception uniformisante de l'identité centrée uniquement sur l'identité nationale : l'effacement des particularismes est conçu comme le meilleur gage de la protection de l'égalité politique dans la sphère publique. En reconnaissant différentes caractéristiques personnelles en tant que motifs historiques de discrimination, des outils de protection des droits fondamentaux s'attardent aux réalités sociales et permettent au droit de maintenant percevoir la diversité des identités. L'identité réfère alors aux caractéristiques personnelles définitoires.

En l'absence de jurisprudence et de doctrine analysant en détail la protection de l'égalité politique, les tribunaux se sont montrés réticents à appliquer la protection à l'encontre de la discrimination politique. Pourtant, le régime démocratique libéral tire sa légitimité de l'égalité des citoyens pouvant prendre part aux choix politiques qui s'imposeront ensuite à tous. Nous espérons que notre démonstration pourra contribuer à une réflexion pouvant fournir des outils théoriques permettant une revendication effective des droits. Les fondements du droit libéral établissent des limites intrinsèques claires à l'égalité politique de telle façon qu'une réticence fondée sur un argument de la pente glissante ne saurait tenir : l'égalité politique protège un droit de participation politique sans discrimination et non un droit de se soustraire des décisions démocratiques de la communauté politique.

Par ailleurs, notre texte s'est également attardé aux potentialités d'une analyse sous l'angle de l'égalité réelle qui permet de s'intéresser aux effets concrets de normes juridiques en apparence neutres. Dans le contexte de réticence judiciaire actuelle, il va sans dire que les tribunaux n'ont pas encore statué sur l'opportunité de mobiliser l'analyse de l'égalité réelle dans le cadre de l'application de la protection contre la discrimination de type politique. Nous croyons cependant que les juristes devraient se pencher sur cette question afin de rendre visibles des situations de discrimination politique. Nous avons montré une difficulté que pose à cet égard le Règlement P-6, mais d'autres actes étatiques méritent certainement d'être mis en doute pour décider de leur conformité avec les principes d'une société qui se définit comme libre et démocratique.


NOTES

1.       Détentrice d'un baccalauréat de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, l'auteure y effectue actuellement une maîtrise sur l'égalité politique et le profilage discriminatoire en droit québécois. Plusieurs des éléments d'interprétation présentés ici plus succinctement en sont issus. Pour toute communication sur le sujet : genevieve.bond.roussel@umontreal.ca.
2.       J.Stuart Russel, « Discrimination on the Basis of Political Convictions or Beliefs», (1985) 45 R. du B. 377, p. 422 (notre traduction).
3.       Id., p. 409 (notre traduction).
4.       L'État québécois, bien qu'empruntant à deux traditions, fonctionne selon le modèle libéral.
5.       Jean-François Gaudreault-DesBiens, « L'essai et le droit », Conférence CRDP « Le texte mis à nu », janv. 2007, enregistrement de conférence en ligne : http://hdl.handle.net/1866/748.
6.       Il s'agit de la délicieuse expression consacrée des juristes pour désigner les autres!
7.       Will Kymlicka, Multicultural citizenship : a liberal theory of minority rights, coll. « Oxford political theory », New York, Oxford University Press, 1995, p. 155 à 158.
8.       Michel Freitag, L'oubli de la société. Pour une théorie critique de la Postmodernité, Saint-Nicolas, Les Presses de l'Université Laval, 2002, p. 193-194.
9.       Id., p. 199.
10.    Id., p. 200.
11.    Id., p. 208.
12.    Nous pouvons penser par exemple à la loi qui discrimine entre les citoyens et les étrangers. Par ailleurs, les personnes morales que nous connaissons aujourd'hui, comme les compagnies, ne font leur apparition que plus tard dans la modernité, bien que l'on peut leur trouver des ancêtres, voir : Geneviève Dufour, Les societates publicanorum de la République romaine : ancêtres des sociétés par actions?, Montréal, Thémis, 2012, 721 p.
13.    Brian Barry, « How Not to Defend Liberal Institutions », dans B. Douglas et al (eds.), Liberalism and the Good, New York, Routledge, 1989, p. 49, cité dans Pablo Da Silveira, « Deux conceptions de la neutralité de l'État», (1996) 23-2 Philosophiques 227, 229.
14.    Da Silveira, préc., note 13, p. 243-244.
15.    Le lecteur voulant pousser la réflexion pourra s'intéresser à l'antiperfectionnisme libéral dans ses conceptions axées sur les justifications ou sur les conséquences.
16.    Notons cependant que l'implantation de cette égalité ne saura complétée qu'avec le suffrage universel au bénéfice des femmes et de certaines communautés culturelles à des moments différents (et majoritairement fort éloignés de la fondation de l'État moderne) dans les divers pays.
17.    Les tribunaux canadiens reconnaissent d'ailleurs la liberté d'expression comme une valeur fondamentale du libéralisme politique préexistante à l'adoption de la Charte canadienne, voir par exemple : Renvoi relatif aux lois de l'Alberta, (1938) R.C.S. 100, p. 146 (j. Cannon) et Switzman c. Elbing, (1957) R.C.S., 285.
18.    D'ailleurs, pour des raisons de concision, nous nous limiterons dans ce texte à réfléchir l'égalité politique dans la sphère publique, ie la protection à l'encontre d'actes discriminatoires de l'État, bien que la Charte québécoise a cette particularité de s'appliquer également dans les relations entre citoyens.
19.    Comme le souligne le Prof. Gaudreault-DesBiens, alors que les autres appartenances collectives sont reléguées à la sphère privée, l'appartenance à l'État – ce que nous désignons donc comme l'identité nationale – est considérée neutre et peut se déployer dans la sphère publique : Jean-François Gaudreault-DesBiens, La critique identitaire, la liberté d'expression : un essai critique d'épistémologie de la pensée juridique. La pensée juridique à l'ère de l'angoisse, thèse de doctorat, Ottawa, Université d'Ottawa, 1997, p. 85.
20.    M. Freitag, préc., note 8, p. 214-224. Précisons que Freitag voit dans la montée des revendications identitaires une fragmentation dangereuse pour l'existence de la communauté politique moderne des individus égaux devant l'État. Les groupes identitaires y sont conçus comme des intermédiaires s'imposant dans cette relation au même titre que les entreprises et organisations (depuis leur acquisition de la personnalité morale). Une telle médiation du politique par les groupes suppose que ces derniers soient en compétition pour le pouvoir et donc que leur poids – et le poids des individus qui en sont membres – soit relatif à l'adhésion qu'ils obtiennent. Le retour à une logique communautaire ou organisationnelle serait donc incompatible avec le postulat moderne d'égalité des individus. Pour notre part, bien que l'argument ne soit pas dénudé de fondements, ni d'intérêt, nous nous concentrerons plutôt sur un seul élément de la postmodernité telle qu'identifiée par Freitag, à savoir une période historique enclenchée par une réflexion sur l'égalité. Plutôt que de voir la fin du postulat (moderne) d'égalité dans le déploiement de cette réflexion à l'ère postmoderne, nous y percevons une modification de la conception de l'égalité et nous nous positionnerons en faveur d'une vision où l'égalité est un outil d'inclusion à la communauté politique plutôt qu'un risque de sa désintégration. Ainsi, dans l'interprétation de la protection de l'égalité politique, il s'agit pour nous de regarder comment le droit peut s'adapter à cet éclatement identitaire, notamment en prenant acte des subjectivités identitaires, mais sans désagréger la possibilité d'une communauté politique. Évidemment, la réflexion ne tient que pour les revendications identitaires et ne saurait disposer des constatations de Freitag sur l'importance des personnes morales, laquelle est extérieure à notre présente réflexion.
21.    SC 1960, c. 44 (ci-après Déclaration canadienne).
22.    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)] (ci-après Charte canadienne).
23.    L.R.Q., c. C-12 (ci-après Charte québécoise).
24.    Rés. 217 A (III), Doc. Off. A.G.N.U., 3e sess., suppl. no 13, p. 17, Doc. N.U. A/810 (1948) (ci-après Déclaration universelle).
25.    Charte québécoise, préc., note 27, art. 10, alinéa 1.
26.    J.-F. Gaudreault-DesBiens, préc., note 19, p. 42.
27.    Ce caractère désincarné de la personne juridique réfère d'abord à une abstraction du sujet de droit de son corps, voir par exemple : Jean-Pierre Baud, L'affaire de la main volée. Une histoire juridique du corps, Paris, Seuil, 1993, p. 11, ainsi que les nuances pouvant être apportées (ici en droit français, mais plus généralement en droit civil) : Stéphanie Hennette-Vauchez, Disposer de soi? Une analyse du discours juridique sur les droits de la personne sur son corps, Coll. Logiques juridiques, Paris, L'Harmattan, 2004, p. 46-50. Notre prétention cependant est que cette désincarnation concerne aussi le corps tel qu'il fait sens dans les représentations sociales et que par extension donc, on peut opposer la personne abstraite moderne et la personne sociale des textes de droits fondamentaux. S'intéresser à l'existence de significations sociales liées aux catégories identitaires est d'ailleurs la façon de dépasser une vision essentialiste de l'identité, voir : J.-F. Gaudreault-DesBiens, préc., note 19, p. 45 et 86.
28.    Cette incitation du Prof. Gaudreault-DesBiens exprime bien l'arrangement identitaire à construire : « Les juristes doivent […] penser le droit en ayant pour objectif de rendre possible la constante recomposition de la communauté politique aux prises avec des déchirements identitaires » afin de répondre au « débat portant sur les conditions et la concrétisation de la citoyenneté démocratique » : J.-F. Gaudreault-DesBiens, préc., note 19, p. 408 et 31.
29.    Cette définition de l'égalité réelle est inspirée de : Pierre Bosset, « Les fondements juridiques et l'évolution de l'obligation d'accommodement raisonnable », dans Myriam Jézéquel (dir.), Les accommodements raisonnables : quoi, comment, jusqu'où? Des outils pour tous, Cowanville, ÉYB, 2007, p. 3, à la page 18 et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, Réflexion sur la limite et la portée de l'obligation d'accommodement raisonnable en matière religieuse, [Ressource électronique], en ligne: http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs53626 (site consulté le 4 décembre 2012). Voir également le premier arrêt sur la question : Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 RCS 536, p. 551.
30.    « La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée.  La norme elle‑même doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire.  Il se peut que la norme qui permet un tel accommodement ne soit que légèrement différente de la norme existante, mais il reste qu’elle constitue une norme différente. », Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, par. 68.
31.    D'ailleurs, l'inclusion est présentée par certains comme un critère d'évaluation des accommodements raisonnables, voir notamment : Julius Grey, « L'accommodement raisonnable : multiculturalisme et vision républicaine », dans Myriam Jézéquel (dir.), préc., note 29, p. 235.
32.    À des fins de concision, nous devons référer le lecteur à d'autres sources concernant les explications sur la définition de l'étendue des activités couvertes par le motif interdit des convictions politiques. En attendant la complétude de notre mémoire qui traitera de la question, il est possible de consulter ces documents qui nous ont inspirés : Renée LESCOP et Haïlou WOLDE-GIORGHIS, La notion de convictions politiques dans la Charte des droits et libertés de la personne, Montréal, Commission des droits de la personne du Québec, Service de la recherche, avril 1983, 64 p. et Muriel GARON  et Renée LESCOP, Hypothèses d’interprétation de convictions politiques, Montréal, Commission des droits de la personne du Québec, Service de la recherche, août 1983, 26 p.. Par ailleurs, le lien entre l'identité politique et l'appartenance à un projet politique nous est également inspiré de la conception de l'identité chez Michel Freitag pour qui, toute réflexion sur la société, le politique et le droit pose la question du sujet (philosophique) et, donc, de l'identité individuelle, mais aussi collective. Le sujet émerge au moment et à la condition d'une reconnaissance réciproque entre les individus; alors que la collectivité émerge aussi de ce mouvement vers l'autre. Cette dernière contient les individualités et les ordonne au sein d'une « communauté de sens […], une réalité référentielle, et non une substance [nous soulignons] » : M. Freitag, préc., note 8, p. 183-189.
33.    L'article 9.1 de la Charte québécoise, préc., note 23, prévoit en effet qu'après la constatation judiciaire d'une atteinte à un droit ou une liberté de la Charte, cette atteinte peut être validée par le tribunal puisque les « libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec », ce qui permet que la « loi [puisse], à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice ».
34.    L'opposition à la démocratie de type représentative (en lui préférant la démocratie directe) fait de l'antiélectoralisme un principe largement partagé chez les anarchistes. Évidemment, comme on peut s'y attendre d'une pensée antiautoritaire, les positionnements sur les principes, mais aussi les stratégies politiques peuvent varier entre individus et des accros aux premiers peuvent être légitimés au nom des deuxièmes dans certains cas. La protection de l'égalité politique permet tout à fait à la fois le choix de ne pas participer aux structures étatiques et cette liberté dans le développement de sa pensée politique chez les individus. Sur l'anarchisme, le lecteur pourra se référer aux nombreux ouvrages et collaborations du Prof. Francis Dupuis-Déri, dont notamment : Nous sommes ingouvernables. Les anarchistes au Québec aujourd'hui, coll. Instinct de liberté, Montréal, Lux, 2013.
35.     « Au préalable de sa tenue, le lieu exact et l’itinéraire, le cas échéant, d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement doit être communiqué au directeur du Service de police ou à l’officier responsable»Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l'ordre public, et sur l'utilisation du domaine public, Conseil municipal de la Ville de Montréal, règlement no P-6, 2 février 2001 (modifié le 18 mai 2012), art. 2.1, en ligne : http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=3619,4034073&_dad=portal&_schema=PORTAL&params_recherche=http://ville.montreal.qc.ca/sel/sypre-consultation/recherchereglement?params=type_regl=999**critere=**source=**type_recherche=0**total=0**crement=10**start_pos=1**acces=0**langue=fr**instances=901**expression=**etendue=titre**statut=1**no_reglement=P-6**no_regl_cond=**applic_territ=0**bro_orderdate=2012-05-19**bro_endorderdate=2012-05-19**utilisateur=&has_been_there=1.
36.    Cette rapide description s'appuie sur la fin de ce texte qui couvre les pratiques policières après les modifications au Règlement P-6 : Francis Dupuis-Déri, « Printemps érable ou Printemps de la matraque? Profilage politique et répression sélective pendant la grève étudiante de 2012 » dans Francis Dupuis-Déri (dir.), À qui la rue? Répression policière et mouvements sociaux, Montréal, Écosociété, 2013, p. 198, aux pages 235-241.
37.    Philippe Teisceira-Lessard, « Manifestations à Montréal : six recours collectifs contre la Ville », journal La Presse, 12 octobre 2013, en ligne : http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201310/12/01-4699135-manifestations-a-montreal-six-recours-collectifs-contre-la-ville.php.
38.    La demande (refusée par la Cour supérieure) de suspension des nouveaux articles en attente du jugement principal indique que l'argumentation des demandeurs (du moins celle retenue par la Cour) se limitait à la question de l'atteinte à la liberté d'expression dans le cas de manifestations spontanées : Villeneuve c. Montréal (Ville de), 2012 QCCS 2861, par. 34. Cependant, cela ne signifie pas que d'autres arguments ne pourront être invoqués lors de l'audience principale. 

Aucun commentaire:

Publier un commentaire